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Chèr·es attaché·es de presse, chères plates-formes,
L’Association française des critiques de séries (ACS), créée en 2015, a pour objectif de représenter la branche journalistique de cette pratique et de questionner ses rapports avec les professionnel·les, qu’ils·elles participent à la création d’une série, sa production, sa diffusion ou promotion.
Or, depuis plusieurs années, nous constatons – et dénonçons régulièrement – une dégradation de ces relations, en particulier autour de la disponibilité des screeners. Ces épisodes, parfois inachevés, nous sont envoyés plusieurs semaines ou plusieurs jours en amont de leur diffusion, afin que nous puissions préparer articles et/ou interviews à publier le jour J. Ces screeners ne sont pas des privilèges, ils sont essentiels pour que nous puissions couvrir convenablement la sortie de vos programmes. Pourtant…
- Toustes les journalistes ne sont pas logé·es à la même enseigne. Une hiérarchisation des médias s’opère en coulisses, qui pénalise de nombreux confrères et consœurs, notamment les pigistes. Que les donneurs d’ordre – principalement états-uniens – estiment que le “prestige” d’un média justifie un accès anticipé aux screeners et vous transmettent des consignes à cet effet, c’est une chose. Mais nous faire croire, pendant des jours, voire des semaines, que les screeners ne sont pas disponibles, alors que nous savons que certains collègues les ont déjà reçus, c’est inacceptable.
- Nous déplorons également que l’accès aux screeners soit régulièrement conditionné à la réalisation d’interviews : outre le fait que nombre de médias ne publient que des critiques, ce chantage est intolérable. Autre pratique préjudiciable : n’envoyer les screeners qu’à un·e seul·e journaliste (en poste) par rédaction. Peu importe s’il·elle n’est pas disponible à ce moment-là ou qu’un·e autre journaliste veuille couvrir ladite série. Cette méthode pénalise particulièrement les pigistes, qui travaillent par définition pour plusieurs médias et qui, n’ayant pas la possibilité d’accéder au programme avant sa diffusion, ne peuvent pas proposer d’article ou d’interview.
- Une nouvelle étape a été franchie le 25 juin dernier, puisqu’une plate-forme bien connue a fini par envoyer, la veille de sa sortie, la nouvelle saison d’une série très attendue, en demandant à une poignée de journalistes privilégié·es de ne pas en parler à leurs confrères et consœurs. Nous refusons d’être complices de ce système à deux vitesses, qui met en concurrence les journalistes et précarise les plus vulnérables d’entre nous. Nous comprenons que la décision d’envoyer ou non des screeners ne vous appartient pas toujours, mais nous exigeons respect et transparence.
- En outre, ces épisodes nous sont de plus en plus souvent transmis au dernier moment – parfois le samedi ! – et valables seulement 24 ou 48h. Ces contraintes, en plus d’empiéter sur notre temps libre, ne nous permettent pas de travailler correctement. Une saison de six, huit ou dix épisodes ne se visionne pas en deux jours, pas plus qu’elle ne se regarde le week-end, l’œil rivé sur un compte à rebours. Par ailleurs, ce système, inacceptable pour les médias en ligne, est tout simplement impraticable pour la presse mensuelle ou hebdomadaire, qui boucle plusieurs semaines à l’avance.
La critique série, au même titre que la critique cinéma, n’est pas un hobby, c’est notre métier. Les journalistes cinéma (dont les conditions de travail se dégradent elles aussi) ont naturellement accès aux projections presse des films avant leur sortie et celles-ci ne sont pas organisées le week-end.
Ces pratiques délétères traduisent un manque flagrant de respect pour notre métier et contribuent à dégrader la critique série dans les médias, déjà réduite à peau de chagrin et très mal rémunérée, mais aussi les relations entre attaché·es de presse et journalistes.
Il est dans l’intérêt de chacun – journaliste, média, créateur·ice, producteur·ice et diffuseur – de nous permettre de continuer à exercer notre métier dans de bonnes conditions. Des relations professionnelles basées sur la transparence, l’honnêteté et le respect nous paraissent le minimum.
Nous sommes disposé·es à en discuter et comptons sur vous pour transmettre cette lettre à vos homologues à l’étranger, ainsi qu’à vos hiérarchies.
L’Association française des critiques de séries
Margaux Baralon (journaliste indépendante)
Jonathan Blanchet (journaliste indépendant)
Anaïs Bordages (journaliste indépendante)
Nora Bouazzouni (journaliste indépendante)
Alexandre Büyükodabas (Les Inrockuptibles)
Anne Demoulin (20 Minutes)
Nicolas Dufour (Le Temps)
Benjamin Fau (Le Point Pop)
Ilan Ferry (Lire)
Benoît Franquebalme (Marianne, Le Parisien WE)
Thibaud Gomès-Léal (Les Numériques)
Stéphanie Guerrin (Le Parisien-Aujourd’hui en France)
Constance Jamet (Le Figaro)
Benoît Lagane (France 2 Télématin)
Yves Le Corre (journaliste indépendant)
Anne Lenoir (journaliste indépendante)
Salammbô Marie (Numerama)
Marion Miclet (journaliste indépendante)
Romain Nigita (Télé Star)
Marion Olité (journaliste indépendante)
François-Pier Pélinard-Lambert (Le Film français)
Marine Pérot (journaliste indépendante)
Florian Ques (têtu·)
Norine Raja (Vanity Fair)
Delphine Rivet (Konbini)
Laurent Valière (Franceinfo)
